Les chroniques de Ramuntcho

Mes mardis...

Mon dernier mardi, le profil de chacun.

 

Je l'avoue, c'est à tort que j'associe souvent la mésaventure du Vieux gaulois Eugène Christophe et celle de René Vietto. Or, si Christophe cassa sa fourche dans le Tourmalet en 1913, c'est en 1934, et dans le Puymorens que René Vietto, dit le Roi René, fut obligé de donner sa roue à Antonin Magne. Tout le monde connaît la photo de Vietto assis sur un muret, maillot de l'équipe de France et boyau sur les épaules, son vélo près de lui, il attend désespérément qu'un camion vienne remplacer la roue qu'il vient de passer à son leader. Il a 20 ans et il pleure. Il ne gagnera jamais le Tour de France, mais une histoire, son histoire était née. Son regard clair, sa jeunesse et sa beauté certainement avaient ému la France.

Tous ces mardis, j'ai pu vous raconter quelques vieilles histoires dont les héros étaient souvent des cyclistes d'un autre temps, parfois connus, parfois tout à fait anonymes. Chacun a ses héros. Quand Eugène Christophe casse sa fourche dans le Tourmalet, il a 18 minutes d'avance sur le second. Après avoir longtemps marché et enfin trouvé une forge à Sainte Marie de Campan, il répare, repart et termine à Paris avec 4 heures de retard. J'avoue que moi, j'aurais abandonné, et depuis longtemps. Mais lui est un des héros du Tour de France, pas moi.
 
Un jour Fred m'annonce qu'il poste mes chroniques sur Facebook. Je regarde, et je vois que 7 personnes, parfois 10, même 11 d'autres fois, aiment ça. Puis je me rends compte que je peux savoir qui sont ces personnes. Je clique. Un prénom féminin. Je clique encore. Et là, faut le dire, photo d'une femme, belle, de profil. C'était son profil, tout simplement. Mais elle, rien que pour son profil, elle avait 353 personnes qui aimaient ça.
Ca brise un peu l'égo.

S'il est un profil, ou plutôt un bonhomme que j'aurais bien voulu évoquer, c'est Eric Tabarly. Mais il me paraît difficile dans une chronique où je dois forcément parler de vélo de parler en même temps de voile, même si dans les deux sports, le vent a une importance capitale.
Tabarly parlait peu, racontait peu d'histoires. Je sais que si Tabarly aimait la mer, les marins et les courses au large, il aimait surtout les bateaux. Et en cela, si j'ai eu du mal à associer la voile et le vélo, je n'ai aucun mal à associer Tabarly et mon père.
Pour terminer, cette phrase d'Eric Tabarly :

"L'homme a besoin de passion pour exister".

Bon vent, et à bientôt peut-être.


Miguel

 

J'ai vu un ciel sans soleil, une mer sans nuages,
j'ai vu des torrents de pluie, de l'eau sortir de rochers où je n'avais jamais rien vu,
j'ai vu des coquelicots dont je ne me lasse jamais,
j'ai vu un cycliste aussi beau qu'Indurain dans le contre-la-montre du Luxembourg en 1992.

J'ai vu le Bougnon dans le brouillard, le Rocher de Roquebrune des nuages sur le dos, le Massif des Maures sous la pluie,
Mais je pensais à ce cycliste tout de blanc vêtu, les bras bien posés, la tête les épaules et les reins immobiles,
Aussi beau qu'Indurain dans le contre la montre du Luxembourg en 1992.

J'ai vu enfin du soleil dans le ciel,
J'ai vu la mer bleue, des bateaux que j'aime tant, des pêcheurs au bord de l'eau, des rivières des étangs,
J'ai vu les cerisiers en fleurs, des bleuets dans les champs, et
J'ai revu ce cycliste passer, aussi beau qu'Indurain dans le contre la montre du Luxembourg en 1992.


Marcel et Tristan, des hauts et des bas.

 

C'était en 1959, juillet, l'année de mon certificat d'études. Ce jour là, le Tour partait de Bordeaux et arrivait à Bayonne. J'étais sur le bord de la route parmi la foule près du Lycée Marracq. Pas du tout pour repérer les lieux de mes futures études, elles étaient quasiment terminées, mais pour voir passer le Tour de France, la caravane et sa grande vedette l'accordéoniste Yvette Horner, et surtout pour voir passer les coureurs en haut de ce qui était certainement une des rares bosses de la journée, en tout cas la dernière.
Nous vîmes passer seul en tête le futur vainqueur, Marcel Queheille de Mauléon, le régional de l'étape comme on disait alors. Je ne veux pas imaginer comment aujourd'hui il aurait été bouffé par le peloton, justement dans les parages du Lycée, parce que justement l'arrivée était toute proche.
J'ai eu la chance de rencontrer ce cher Marcel cette année, tout d'abord à Oloron, et ensuite chez lui à Mauléon. Toujours aussi menu, aussi vif, coiffé de son inséparable béret rouge, heureux bien sûr que je lui dise que j'étais là le jour de sa plus grande victoire, son jour de gloire, présent parmi la foule à hurler de joie sur son passage.
A Mauléon, ce 15 août, il suivait l'épreuve qui porte son nom. Par deux fois, tout d'abord sur les pentes du col de Gamia et ensuite au sommet du Burdincurrutxeta, il était là, m'a reconnu et m'a encouragé, peut-être pour me faire croire, un très court instant, que moi aussi j'étais un vrai coureur.

Si Marcel a voulu me faire croire un instant que moi aussi j'étais un vrai coureur, il en est un autre qui malgré lui m'a bien ramené sur terre s'il en était besoin, ce que sincèrement je ne pense pas. Mais continuons.
J'étais il y a quelques années sur les pentes du Ventoux, 2 ou 3 kilomètres avant le Chalet Reynard, quand un cycliste me double, me souhaitant au passage bon courage. Des cyclistes qui me doublent, il y en a beaucoup. Mais celui-là, c'était Tristan Mouric, manchot et unijambiste, 170 victoires en ski ou en vélo, dont quelques-unes aux Jeux Olympiques. Il vit là, tout près, à Sarrians, et la montée du Mont Ventoux a l'air d'être pour lui ce que la montée du barrage entre Cherchebruit et Dantx est pour moi, une rigolade, surtout quand je suis seul bien sûr. 

Un peu en haut, beaucoup en bas, c'est comme ça...

La chemise à carreaux

 

Du cycliste, il n'avait que le vélo. Et encore, fallait pas regarder de trop près. Les tubes Reynolds ou Colombus 3/10 ème, il n'en avait jamais entendu parler. Par contre sa fourche, ses haubans et ses garde-boues étaient chromés. Le petit porte-bagages à l'avant du vélo aussi d'ailleurs. Il y mettait un maillot, le parcours de la journée, et peut-être quelques fruits secs. Il était de taille moyenne, un peu rond un peu mou, extrêmement aimable, et ressemblait à l'idée que l'on se fait parfois des notaires, ce qu'il était d'ailleurs.
Nous faisions de longues randonnées sur sept jours qui nous menaient de Paris à Cannes le plus souvent, à Compostelle ou à Rome d'autres fois, et d'autres fois encore ailleurs. Si dans l'ensemble de la journée nous roulions chacun à la vitesse qui nous convenait, le Président était intraitable sur quelques points précis : départ à l'heure pile, tout le monde vêtu du maillot du club, déjeuner obligatoire dans un lieu prévu à l'avance, et rassemblement au panneau d'entrée de la ville étape, pour une arrivée groupée à l'hôtel.
Ces exigences du Président s'adressaient à tous, sauf à Jean François. Jean François partait avant, longtemps avant parfois, et arrivait... quand il pouvait. Il faisait tout le trajet en complète autonomie, et ne réclamait jamais rien, n'exigeait jamais rien.
Un jour, je lui demandai pourquoi il mettait toujours une chemisette à carreaux pendant tout le parcours, et son maillot du club seulement à l'approche de l'hôtel. Il me répondit tout simplement ceci : "Quand sur le bord des routes ou dans les villages je croise des gamins, je suis tellement loin de vous, je ne veux pas qu'ils sachent que je fais partie du même groupe".

Je vous rapporte ci-dessous la fin d'un portrait que j'avais écrit sur Gégé de Longchamp.
"...parce-que les cyclistes, on est quand même une belle bande d'enfoirés. Chacun monte paraît-il un col à sa main -je ne vois pas trop comment faire autrement d'ailleurs. Mais quel est le meilleur moment ? Quand le paysage est magnifique, et qu'on se traine, ou quand un camarade vient d'exploser ? Moi en tout cas, c'est quand un camarade vient d'exploser, car pour admirer le paysage, je peux revenir sans vous."

Il y a certainement longtemps que Gégé n'a plus fait exploser personne. Moi non plus d'ailleurs.


"Le cyclisme est un monde mafieux et grandiose, c'est aussi un monde menteur".
Olivier Dazat, co-scénariste  de "Himalaya ou l'enfance d'un chef", passionné des choses du vélo et des coureurs cyclistes

Petits arrangements entre amis (ou pas)

 

Arrangement entre seigneurs (ou presque)... C'était une période où l'on cherchait des noises à Vinokourov, et à l'occasion on ressortit une vieille histoire où Richard Virenque aurait payé Jan Ullrich pour gagner une étape. Je ne sais pas si Vino a triché, et je m'en fous. Mais celui qui ne comprend pas qu'on peut, lors d'une échappée à deux, faire un arrangement dans le genre "je t'aide à gagner du temps pour ton maillot jaune, mais tu me laisses la victoire d'étape", donc celui qui n'a pas compris ça, n'a rien compris au vélo et n'y comprendra jamais rien.

Dérangement (prometteur)... Alors qu'un jeune à peine arrivé chez les élites se permit de disputer un sprint pour une belle prime, un ancien, arrangeant à sa manière, menaça aussitôt de le balancer dans le caniveau. Ce à quoi le nouveau venu, plein de sang froid, lui répondit : "méfie-toi, je ne tombe jamais seul".

Arrangement impossible (hélas)... Je rencontre un camarade cycliste. Après s'être extasié sur le ciel bleu "et la chance que nous avons de vivre dans un si beau pays", nous parlons vélo. Dans mes projets et dans les siens, la même cyclosportive. Je lui suggère, voulant faire mieux que l'année passée, qu'il pourrait me soutenir, me protéger, m'aider à boucher les trous... Et là, indigné, il s'écrit : "Mais c'est de la triche".
Mais non mon bon cycliste qui ne comprend rien.
S'abriter derrière un coéquipier n'est pas de la triche.
S'abriter toute une course derrière un adversaire et le passer sur la ligne d'arrivée, ce n'est ni très sport ni très élégant, mais ce n'est pas de la triche.
La triche, c'est couper, s'accrocher à un véhicule, et certainement d'autres choses encore...

Dérangement (loupé) d'un autre temps... Vendredi 18 mars 1947, veille de la saint Joseph et du Milan-San Remo. Serce Coppi (frère de Fausto, vainqueur en 46) et Luigi Casola attirent un des favoris de l'épreuve, Gino Bartali, dit Gino le Pieux et grand rival de Fausto Coppi, dans un véritable guet-apens. Ils l'emmènent au cinéma tout d'abord voir "Arènes Sanglantes" avec Rita Hayworth, puis piazza del Duomo, boire du vin blanc, fumer, manger des tortellinis, boire encore et fumer toujours. Ils rentrent tard, très tard. Le départ est à huit heures, Gino est là. Course du diable qui a mélangé la terre, la pluie et le froid, mais Gino le pieux est divin, il arrive à San Remo seul, vainqueur couvert de boue, ovationné par les tifosi en délire, laissant son second à presque 4 minutes.

Comme dans la vie, le vélo est arrangement, lâcheté, trahison, vengeance, mais pas que. Il est aussi amitié, amour, fidélité et passion.
"Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre"
Gino le pieux vous l'aurait dit.


Les gens du nord

 

Il n'est de bon passionné de vélo que dans le nord, le nord de la France, les Pays Bas et évidemment la Belgique. Il en existe en Italie, en Espagne, en Angleterre aussi -rappelez vous la foule et l'enthousiasme des anglais lors d'un départ du Tour il y a peu-. Mais dans le nord, c'est vraiment autre chose, c'est dans les tripes, c'est dans l'enfance, c'est dans la vie de tous les jours. C'est en héritage.
Quand des anciens, casquette sur le front, une bière dans une main, une clope dans l'autre, vous racontent que dans le temps on voyait mieux les courses à la radio...
Quand vous découvrez, photos à l'appui, que les courses de kermesse pouvaient passer dans un bistrot, les coureurs entrant par une porte et sortant par l'autre...
Quand vous lisez ceci, plus de cinquante ans après les faits : "...l'épisodique 'Coups de pédales', en vente en gare de Liège-Guillemins, auquel les vrais amateurs savent gré d'avoir rectifié quelques bourdes historiques absolument monumentales... ainsi, que l'Italien Gandini, seizième de la Primavera en 1922 ne se prénommait pas Antonio mais Arturo et que Frans Melckenbeeck, nonante-sixième en 1964, pointait à 1 mn 34 du premier, le Britannique Tom Simpson, et certainement pas à 12 mn comme on le dit souvent...".   (extrait de la Cinégénie de la Bicyclette - Patrick Leboutte)
Oui, quand vous lisez ou entendez cela et d'autres choses du même acabit, vous ne doutez plus qu'il n'est de vrai passionné que dans le nord.

Quand vient l'hiver, les cyclistes, même les mauvais, vont "en stage" sur la Côte d'Azur ou la Costa Brava. Ils devraient plutôt aller -moi compris- affronter la pluie et le vent glacial du Plat Pays, ses Monts et ses pavés, apprendre à rouler dans la tourmente avec tous les guerriers du coin, et se taper le Koppenberg, le Mur de Grammont, la côte de Saint Nicolas, le Chemin des Chapelles à Huy et pourquoi pas le Carrefour de l'Arbre.
Il y a quelques années, début mars, départ du Paris-Nice. Tous les coureurs sont vêtus comme s'ils allaient s'entraîner un matin de janvier, passe-montagne, veste et sur-veste, gants et cuissards longs, couvres-chaussures. Tous ? non, pas Tom Boonen. Tom Boonen, qui depuis ses quatorze ans a dans sa région une réputation de guerrier, et qui s'entraine par tous les temps, Tom Boonen est habillé comme un cycliste qui va faire une course de vélo un jour de printemps. L'entrainement c'était en décembre, janvier et février. Aujourd'hui il court, il court pour gagner. Et le soir, ne cherchez pas le vainqueur, c'est lui !

Je n'ai jamais roulé dans le nord sur ces routes de légende. Mais j'ai roulé avec un grand gaillard qui venait de Belgique, sur une longue route forestière pavée de mauvaises intentions, sable, nids de poule, flaques d'eau et quelques pierres de-ci delà. "Mets une dent de mieux me dit-il, et accélère...". Facile... n'attends pas... j'arrive...

Pour terminer, cet extrait de phrase piqué à l'auteur mentionné plus haut :

"...ce ciel si bas, si noir qu'un jour une course de kermesse s'y perdit. On me l'a dit."

Les gens du nord, passionnés de vélo, mais poètes aussi. Emile Verhaeren, avec un nom pareil, eût pu être champion cycliste, ou équipier de Rik van Looy, Rik van Stenbergen, Roger de Vlaeminck, Freddy Maertens, Albéric Schotte  et beaucoup d'autres encore. Mais non, il ne fut que poète, et ma foi, il s'en sortit très bien.

Mes mardis...

Talents cachés,


Je dois vous dire, la semaine dernière j'ai passé plus de temps à essayer de poster ma chronique qu'à l'écrire. Que voulez-vous, je n'ai pas beaucoup de talents. Tout le monde ne peut pas être doué comme certains, Inaki par exemple, qui taille les haies et découpe les arbres à la tronçonneuse, à la tronçonneuse mais en finesse, qui chante, danse et claquette, qui vole devrais-je dire mieux que Noureev ne le fît jamais, et qui en plus -chose que vous ne saviez certainement pas-, est un mécanicien cycliste hors pair, connaisseur, adroit et très raffiné. Il change, chrono en main, la roue avant de son vélo en moins de 10 minutes !!!
Mais laissons Inaki à ses exploits, et revenons à moi. Ou plutôt à vous. Enfin, à l'histoire du jour. Qui est un peu la mienne.
Pentes du Tourmalet, soleil, route en travaux, tout doit être beau pour le Tour. A quelques centaines de mètres du sommet, un ouvrier du chantier, sympathique mais me sentant en pleine détresse m'encourage en criant sur mon passage "Allez, allez!". Je le remercie vaguement, et, dans un souffle, épuisé, j'arrive à lui demander : "C'est bientôt fini ?". Mais sans même relever la tête, soudain indifférent à ma situation, il me répond : "Mardi prochain s'il ne pleut pas".
Mes souffrances je suis venu les chercher. Lui, par sa réponse inattendue, décalée, me rappelle que chacun a ses soucis, ses problèmes, et ne peut compatir que quelques instants.
Chacun ? non, pas chacun. Inaki n'est pas chacun. Sachez qu'il va m'aider prochainement à mieux maîtriser mon ordinateur. Car si moi je ne sais pas faire deux choses à la fois, pour lui ce n'est pas un problème... et hop que je change une roue... et hop que je taille la haie... hop hop hop...

 

SUITE
Lettre d'un faux-cul


J'espère, cher Inaki, que tu n'as pas trop mal pris la p'tite chronique de ce mardi. Parce-que y'en a qui ont bien rigolé. Je pense à deux gars du club en particulier, je te dirai pas qui évidemment. Je peux juste te dire qu'ils sont frères, mais ça y'en a pleins. Je sais que leur nom commence par un D et qu'ils sont peintres tous les deux. Or dis-moi Inaki, des peintres sur un vélo ça fait quoi ? des caricatures. Et des caricatures c'est quoi ? des guignols!!!
En fait mon cher Inaki, ces deux frangins dont je ne te dirai pas le nom évidemment, i's sont jaloux. Et tu sais pourquoi i's sont jaloux ? je vais t' dire.
I's sont jaloux parce-que dans ces chroniques, depuis plusieurs semaines, je parle de qui ? je parle de Fausto Coppi, Jacques Anquetil, Ocana, Bobet, Van Impe, Indurain, et TOI Inaki. Que des vainqueurs du Tour. Bon, pas toi d'accord. Mais t'es au milieu de tous ces énormes champions, tu t'rends compte ? Et les deux frangins, i's sont où ? On parle d'eux ici ? Que dalle, nada, rien. I's ont fait quoi les frangins ? I's ont fait rien. Ah oui, à la fin de la saison, quand tout le monde en a plein le cul du vélo, quand tout le monde est fatigué, i's courent tous les deux, sur des vélos zarbis, et i' se font des politesses, et je passe devant, et à toi de passer devant, et à moi encore, et à toi... c'est du vélo ça ? Tu parles, du chichi, des gonzesses... c'est pas comme ça qu'ils vont faire le Tour. Bon, toi non plus, hein, faut pas rêver.
Pour cette lettre Inaki, tu dis rien à personne, et surtout pas aux frangins (si tu les reconnais), car à eux deux, ils pourraient me mettre une valse, et j'ai pas envie.
Allez Inaki, c'est toi le meilleur, entre Cibouriens on se soutient.

Je signe pas, au cas où...


Le regard d'un enfant.



Il était bien petit quand il faisait sur son vélo des allers-retours d'un bout à l'autre de la rue. Pas une rue d'ailleurs, une impasse plutôt. D'un côté, une rangée de maisons blanches aux volets rouges, toutes identiques, habitées par des ouvriers de l'usine. De l'autre, un grand bâtiment où l'on stockait les produits finis prêts à être livrés, et un bout de champ avec deux platanes et des fils tendus entre quelques piquets où les femmes venaient étendre leur linge. Il en avait assez de pédaler dans cette impasse, et il rêvait d'être facteur. Parce-que le facteur, lui, il avait un grand vélo, mais surtout il avait le droit d'aller au-delà de l'impasse.
Il ne devint jamais facteur, fit des courses à un bon niveau, sans plus, mais il aima toujours le vélo et les coureurs. Il s'appelait Maille, et je n'ai certainement jamais su son prénom. Je l'ai vu courir une fois, au quartier Fargeot. Les coureurs arrivaient par la rue des abattoirs. Au passage à niveau ils tournaient à droite, longeaient la voie ferrée en montant, et disparaissaient encore à droite, là-bas au loin. Je me souviens aussi qu'il venait à l'école habillé en cycliste, cuissard trop large baillant juste au dessus des genoux et socquettes blanches se gondolant autour de ses fines chevilles. Il était tout sec et marchait en canard, peut-être à cause des cales sous ses chaussures. Un sac sur le dos, des cheveux bouclés et c'est tout.
Le facteur n'a certainement jamais su qu'il avait un admirateur. Mais ne faites pas comme le facteur, prenez le temps de regarder dans les voitures qui vous doublent, vous klaxonnent parfois, vous serrent trop souvent de trop près, prenez le temps de voir les enfants, les tout petits enfants, le nez et les mains collés à la vitre, ils vous suivent du regard. Eux aussi ont un vélo, un casque, souvent des coudières... c'est pas rien tout çà. On sent de l'admiration dans leur regard, on sent de l'envie. Pour eux, on est des grands, on va sur la route, on est entre copains, on est des coureurs quoi, et on les fait rêver. On sort de l'impasse en quelque sorte. Alors, un regard... un sourire... un signe de la main... c'est bientôt Noël.


Pierre Chany...

 

Pierre Chany était un journaliste sportif spécialisé dans le cyclisme. Il était l'ami de Blondin, Chapatte, Anquetil, ainsi que d'autres personnages moins connus comme Pierrot, Romano, et d'autres encore.

Au premier il avait emprunté, dès qu'il avait bu un petit verre, son débit hésitant quand il parlait. Mais surtout il s'en inspirait pour mieux écrire et romancer en les trahissant il faut bien le dire, les "Fabuleuses histoires du Tour de France".

Chapatte aussi s'inspirait de Blondin, choisissait ses mots, travaillait ses phrases, et tout comme Pierre, quand il parlait de vélo, il savait de quoi il parlait. Il avait quelques marottes, regrettait la laine et la soie par exemple, et n'aimait pas les coureurs qui grimpaient les cols le maillot grand ouvert.

Dans leur domaine ils étaient parmi les meilleurs, et ils s'épataient les uns les autres.

Anquetil était forcément un peu à part. Parce-que les trois bonhommes, là, quand il écrivaient ou qu'ils parlaient dans le poste, quand ils étaient ensemble autour d'une table pour ne pas dire autour d'un verre, c'était souvent pour parler du quatrième, ce quatrième qui était de la race des seigneurs.

A l'arrivée d'un tour de France qu'Anquetil venait de remporter, alors que les journalistes le pressaient de questions, et qu'à vrai dire il n'avait pas très envie d'y répondre, il leur déclara à peu près ceci : "Si vous voulez comprendre ma course, si vous voulez tout savoir, faites comme moi, lisez l'article de Pierre Chany demain matin, j'ai confiance en lui, il me connaït, me comprend, et sa version deviendra officiellement la mienne".

Vous connaissez aujourd'hui un journaliste qui aurait gagné à ce point la confiance de... de qui d'ailleurs ?

P.S. L'histoire qui suit complétera "Vin rouge et saucisson". Jacques Anquetil a 19 ans et a déjà remporté le premier de ses neuf "Grand Prix des Nations" (!!!). Il dîne dans un restaurant parisien, huitres, crustacés, vin blanc, champagne. Louison Bobet, récent vainqueur du Tour, l'aperçoit, le salue, puis en se dirigeant vers sa table, il dit à Jacques Godet : "Il n'ira pas loin le petit".

Quand même...

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Date de dernière mise à jour : 15/02/2016